Buffalo Bill, Warhol, Columbine : War All

 

 

Du shooting dans l’Ouest au show colonial : Buffalo Bill ; et du show commercial : Warhol ; au shooting d’Andy et jusqu’à la série de massacres qu’ouvre Columbine

 

On pourrait présenter l’oeuvre de Warhol ainsi : Marilyn, smiles and suicide ; Coca bottles and ‘Silver car crash’ ; Elvis cow boy and Dead Andy. Elvis tire : les Rafales de Cocas Semblables accrochent par Rafales de Sourires Semblables les Clients Semblables qui vident les bouteilles pareilles, jettent les Marilyns usées, abattent les clients cibles. La Surabondance programme Concurrence et Obsolescence des files de bouteilles et de sourires, suicide, crash ou shooting des stars. 

 

Le Coke est vu lèvres tendues, la civilisation nourrisson regarde et tète le Baiser multiplié de la Mer du bonheur. La publicité nous sourit, nous sourions à la publicité. Cercle enchanteur décepteur : un palais des glaces où l’on se sait plus Qui est Quoi, Quoi est Qui.

 

« Tes yeux sont livrés à ce qu’ils voient

Vus par ce qu’ils regardent », dit Eluard. 

 

La démocratie en Amérique remplace l’égalité affichée par le vote par l’égalité affichée des Consommables Semblables. Warhol, Buffalo Bill des mégapoles publivores, explique l’égalité comme une publicité : « All the Cokes are the same and all the Cokes are good. Liz Taylor knows it, the President knows it, the bum knows it, and you know it ». La nation s’unit, du président au clochard, par la dévotion aux Cokes reliée par Liz fantasmée. Le dénominateur commun, c’est le Consommable exalté, image lointaine et désirable. Liz n’est qu’une bouteille de plaisir peinte, jetable, effaçable, plaisir qui passe. 

 

La dénivellation entre stars et anonymes, entre marques et produits, remplace la dénivellation entre élus et électeurs. Entre l’électeur lointain et le député parisien, entre la première et la N…ième bouteille, entre la star et ma copine, tous en image, c’est le même abîme infranchissable. Les bancs de poisson, les troupeaux d’animaux ne se regroupent pas ensemble, ils suivent des signaux, cris ou couleurs, spécifiques, caractéristiques, uniques comme le dernier spot multiplié. 

Mais les séries fusent et s’usent, les cigarettes brûlent. Au vingtième siècle, le grand massacre, qui dépasse de beaucoup les deux guerres mondiales, c’est 1OO millions de mort par le tabac ! Silence radio sur ces morts incomparables. Les fumeurs ne sont-ils pas volontaires, comme les kamikazes mourant en groupe de la peur de vivre seul ? Comme dirait Coluche, ils ont décidé sans réfléchir ! « Et alors ? J’ai d’mandé aux autres, izont fait pareil hein ! Si on avait réfléchi on n’aurait pas signé, faut pas nous prendre pour des cons quand même ! ». Oui, mieux vaut ne pas réfléchir, quand il faut agir avant de savoir, quand il faut fumer ou mourir. La première cigarette est celle du condamné, qui a le sourire de Marilyn parti en fumée. Coluche encore : « y a t-il une vie avant la mort ? ». Warhol aussi le constate : « painting the Marilyns, I realized that everything I was doing must have been Death ». Marilyn disparaît sous les icônes de Marilyn. Les images ne sont-elles pas des ombres, toujours commémoratives, fantômes usurpateurs de bouteilles bientôt vidées ou de têtes déjà tombées ? « everything … must have been Death ». 

 

Entre la Marilyn vive, héroïne incomprise, et les Marilyns votives à la carte, c’est encore et toujours la Querelle des images. Aujourd’hui en Occident comme hier à Byzance, l’image de culte, d’un dieu ou d’un héros qu’il faut tenter d’égaler, est remplacée par le culte des images, qu’il suffit d’adorer et de manipuler. Les sourires de Marilyn sont des sourires défunts, parce que Marilyn est devenue une star, qui ne peut être une héroïne, sinon par son suicide. Du héros à la star, du temple ou du palais au drugstore, du tableau au show, c’est la mort de l’Art. 

Buffalo Bill créa le premier show dont il était la première star : pour les trimards blancs de l’Est, il avait conquis et civilisé l’Ouest en génocidant les Indiens basanés. Comme les prolétaires de Rome, les trimards blanc de l’Est doivent être purgés de leur colère rentrée. 

 

Ils veulent cogner, il suffit de leur trouver des ennemis menaçant leur seul bien assuré, le pain. Ces ennemis sont tout trouvés : ils sont aux frontières. A mort les étrangers avides de notre pain quotidien, de nos femmes, de notre Coca, de nos Marilyn ! Du pain et du cirque ! De la pub et du western ! Coca, Marilyn et cow boy ! 

 

Les spectateurs publivores et polaromanes sont-ils vivants, ou des morts vivant d’images de mort, fumée sortant du canon à tabac ou du canon à mitraille ? 

 

Cirque et western, polar et avatar vidéo : la soupape brûlante

En toute société surnuméraire et stratifiée, depuis le Néolithique, les institutions générales ne suffisent pas à réguler toutes les situations particulières : un résidu irréductible se creuse. Dans lequel le Mal, c’est le chaos social irréductible surgissant n’importe où, qui a le visage de la Gorgone, miroir insoutenable de tout le monde et de n’importe qui. Afin de canaliser la violence illégitime inhérente aux sociétés ainsi civilisées, le pouvoir encadre la détente nécessaire et légitime par les passages à la limite virtuels érotiques et agonistiques. Le problème, c’est justement la limite : les films pornos dans les prisons évitent les passages à l’acte pour 5O pour cent des détenus, et les provoquent pour l’autre moitié ! Pro porno et anti porno ont tous deux raison et tort : c’est le cercle vice-vertueux ! Qui est le principe suprême de la culture : colt et sourire. Le colt sourit à notre peur qu’il change en puissance ; et le sourire nous menace d’impuissance : est-ce que je le mérite ? 

 

Du Colt de Buffalo aux Marilyn de Warhol à Columbine

Warhol a peint, outre les Cocas bottles et les Marilyns, la Cow et le Colt de la Prairie de l’Ouest. 

Comment les colts sont-ils passés à l’écran ? Parmi d’autres situations, la plus faste est peut-être la prohibition de l’alcool en 1920, qui offre sa chance à Al Capone et à Lucky Luciano, parrains de la mafia. Epoque bénie pour la médiatisation des armes. C’est un gangster ! Oui, mais rentable pour les médias : règlements de compte à la mitraillette, magasins explosés, raquettes, prostitution, fortunes rapides, etc. sujets explosifs de suspense et de distraction pour les américains moyens privés du dérivatif alcoolisé quotidien. Schopenhauer l’a dit : « Le remède contre l’ennui est aussi important que le remède contre la faim ». D’où l’absolue nécessité d’abord de l’Art d’Assassiner chez Lucky le mafieux, créateur de la ‘Murder Incorporated’ ; ensuite de l’ArAssassin chez ‘Lucky médieux’, le chouchou armé des médias avant Marilyn. Depuis, le colt d’Elvis et le sourire de Liz se sont mariés, je les ai rencontrés ! Déambulant dans une allée commerciale, une jeune femme sexy m’arrête, colt pointé surmoi, depuis la vitrine d’un magasin : consommateur, tu paies ou tu meurs ! C’est par le mental armé d’images que la réalité et la fiction se courent après, comme le chat et son ombre. Ainsi la même nana armée, ou sa cousine, entra un soir dans la loge d’un chanteur alors célébrissime, Tino Rossi, le menaçant : « tu m’aimes ou tu meurs ! ». Mort mentale s’entend, la seule réelle. L’exclu, l’amante solitaire ou le raté universitaire, qui ne peut consommer ni nana, ni ersatz de nana tamponné du sourire, n’évite la mort sociale pointée sur lui qu’en retournant l’arme contre la menace omniprésente, accédant d’un coup de feu à l’existence légale, l’image télé. Voilà Columbine, 1999, 13 élèves gisent sur le sol d’une école. Morts du tabac ou des armes made at home, la bannière étoilée salue dans le silence médiatique votre don suprême à la patrie ! On préfère regarder la mort en polar que voir la sienne en face, au coin du quotidien qui demain se réveille à Columbine. Buffalo Bill, Warhol, Columbine : War All. La différence, c’est que Buffalo a tiré, à une distance d’un siècle, sur Warhol, enfant trop sensible qui croyait au Coke, dieu médiatique. La boucle s’est refermée : l’Indien scalpé que brandissait Buffalo s’est retrouvé à terre changé en célébrité jalousée : Andy lui-même. L’ennemi étranger s’est changé en concurrent indigène : on est passé du western au polar. De la prédation sur les fauves de l’Ouest à la partition du gâteau entre chiens de l’Est. Avec le même relais excitateur et modélisateur : le spectacle. 

 

La morale de l’histoire, c’est qu’Andy a compris ceci : image pour image, tout n’est qu’image sous le Panoptique télévisuel. L’oeil était dans la foule d’images et regardait Andy. Car les images sont des modèles, dont la vérité se révèle après le spectacle, que Warhol a expérimentée lorsqu’il gisait sous les balles d’une assistante : la star de la télé nous vise « Do it yourself ! », et les enfants de la télé jouent parfois à viser pour exister. Pourtant, l’inventeur des schémas iconiques et de l’artiste hystérique dans notre civilisation médiatico-boulimique fut Salvador Dali, qui créa le canapé  baiser, ‘Mae West Sofa’, énormes lèvres féminines rouges vif, irrésistible appel au plaisir. Or, lui ne fut pas abattu en représailles. C’est qu’il était européen : il créait des oeuvres d’Art qui exprimaient son temps et s’en distanciaient. Alors qu’Andy, en Bouffon du BazArt Contemporain, exprimait ce qu’il subissait : la loi du marché qui tue les élus jalousés comme des bouteilles sur le stand de foire. 

 

Quant aux jeunes qui n’ont même pas commencé à vivre, livrés aux ersatz de héros que sont les stars, les jeunes de Colombine ou en partance pour DAECH cherchent l’héroïsme dans le meurtre, seul modèle sériel télévisuel, donné par Buffalo Bill et reconnu, trop tard, par Warhol : « Right when I was being shot and ever since, I knew that I was watching television. The channels switch, but it’s all television ». War All.

 

La mort de l’Art, c’est finalement lorsque l’on meurt de son vivant, lorsque les images se métamorphosent en spectacle, quand l’image de culte, esthétique ou mystique, se mue en culte des images.

Comment sortir de cette caverne ? 

 

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