C’est au prisme des notions de « culture » et de « création » à l’ère d’un changement glocal – global et local – qu’il s’agira de réfléchir à la question de médiations citoyennes innovantes, d’une gouvernance au sein de laquelle le citoyen lambda a du mal à trouver sa place. En effet, la forte croissance des industries créatives génère une nouvelle division internationale du travail contribuant au développement d’emplois jusqu’alors inexistants, mais créant également une prolétarisation …digitale, où la technologie – même virtuelle – peut remplacer le travail de l’Homme. C’est en ce sens que l’on peut s’interroger sur les portées d’une « économie créative » et du développement de ses acteurs, pouvant être affectés par des maux relatifs au 21ème siècle tels le « burnout », le « boreout » ou encore le « brownout ». Dès lors, quid de nouveaux modes de gouvernance pour ces territoires créatifs ? Avant de se songer à des médiations citoyennes propres aux industries créatives, il faudrait avant tout les définir, les délimiter et considérer leurs impacts sociaux. C’est la raison pour laquelle, il faudra revenir au début du 20ème siècle pour comprendre les impacts – négatifs ou positifs – d’industries culturelles émergentes telle la radio à l’ère de différentes gouvernances.
Des industries culturelles sous la gouvernance du IIIème Reich
Avant de se pencher sur les industries culturelles et créatives (ICC), il s’agira de revenir sur l’émergence des premières industries culturelles telle la radio, dans le contexte particulier d’après crise (1929). Si la démocratisation d’un outil élitiste, n’a pas été sans déplaire, les conséquences risquées d’une liberté d’opinions et de de critiques, pas toujours éthiques sont également mis en lumière.
Impacts de l’émergence de la radio comme industrie culturelle à l’international
La radio n’a pas eu que des effets de propagande en temps de guerre. En temps de paix également, des biais communicationnels sont à relever tous comme des effes bénéfiques a contrario. »One cannot not communicate» écrivait le théoricien de la communication Paul Watzlawick[2] (1972 :48), certes, mais on peut être mal compris ou non compris …Si, depuis
Londres, « l’appel du 18 juin 1940 » du général De Gaulle a fait entrer d’une manière positive la radiodiffusion dans l’histoire, il ne faut pas oublier non plus l’impact négatif que pouvait avoir ce même outil technologique, deux ans auparavant. De plus, les industries culturelles en émergeant sans cadres juridiques régulant leurs contenus, génèrent aussi une nouvelle division du travail et de nouveaux emplois « créatifs », à une période propice après les destructions d’emploi dues à la crise financière et économique de 1929. En effet, en 1938 le réalisateur et scénarite étasunien Orson Welles diffuse une émission de radio-réalité « The War of the Worlds »[3] sur une attaque martienne, si réaliste que ses auditeurs affolés en sont descendus dans la rue, provoquants un vent de panique, une hystérie collective.
Des chercheurs de ce temps ont tenté de mettre en maux les affects des récepteurs sur cet évènement. Le sociologue français Pierre Lagrange a tenté de relativiser au mieux l’impact dramatique de la panique collective engendrée par la radiodiffusion des histoires de Welles. Aussi, il faut noter que la dramatisation de Welles fut moindre car elle marquait peu d’auditeurs relativement à la population, c’est surtout la presse nationale qui s’est emportée contre la petite station de radio, la presse s’inquiétant grandement de l’ampleur que la radio pouvait prendre aux dépens de la presse. Parmi ces inquiétudes, la crainte d’un concurrent économique majeur se hissait, la presse perdant de plus en plus de publicité en faveur de la radio.
Bien évidemment ces industries à la différence des industries contemporaines dites créatives ou culturelles et créatives (IC ou ICC) ne bénéficiaient pas de la contribution de diffusion ou de participation citoyenne, via la sphère digitale. Cette évolution du champ lexical montre bien qu’avant de se pencher sur des axes de recherches pour les médiations citoyennes, il est nécessaire de revenir dans le temps pour comprendre les répercussions non envisagées du développement de l’industrie culturelle en temps de paix, mais aussi en temps de guerre déjà.
Communication de risque et maux identifiés
Quelles places prennent la culture et la communication au sein des industries créatives ? Aussi, quels risques en plus d’opportunités prennent les gouvernances à mettre en valeur ces industries ?
Lorsque la France discute régulation de nouveaux paradigmes économiques avec la mise en place de législations pour les VTC – permettant des prix plus abordables pour les utilisateurs (par exemple via l’application de la société créative « Uber ») il existe aussi d’autres alternatives de transports émergentes grâce aux technologies de l’Information et de la Communication tels Blablacar, entreprise créative également qui permet des co-voiturages à moindre coût comparées aux sociétés nationales de transport de pays européens. En plus de cela, la valeur écologique introduite en limitant le nombre d’automobiles sur les routes, grâce à ce genre de « nouvelle » division internationale du travail ou encore des services, ne peut être négligé. La perception de l’impact de la technologie tend à être binaire : soit elle sauve, soit elle détruit. L’Internet est une opportunité pour la révolution ; notre vieille société est « perturbée » ; tout devient obsolète les « NTIC » et les TIC. Ou bien les emplois sont perdus à l’automatisation et l’informatique ; drones pour de nouveaux moyens de livraisons, de photos, de nouveaux millionnaires tel Marc Zuckerberg, grâce à une vitesse technologique fulgurante. C’est une des raisons pour lesquelles, proposer de découvrir un pays, à travers son patrimoine et son histoire via notamment des outils et medias numériques, est une des priorités du gouvernement. En 2016, en Algérie, « Taxi Flexi » est une application qui émerge pour promouvoir tel Uber la facilité de déplacement à moindre coût. Ainsi, le premier cluster dédié à l’économie numérique en 2015 : plus d’une vingtaines d’entreprises publiques et privées où des produits comme les boissons, les dattes, la mécanique de précision et la plasturgie, ou encore d’autres activités créatives regroupées autour des produits comme les tapis ou encore le textile, les bijoux et l’artisanat traditionnels[4]. S’adapter en termes de glocalisation « Think global, act local ».
Pour Nicolas Miailhe, cofondateur et président de The Future Society, organisation non lucrative de la Harvard Kennedy School of Government « il est urgent que le gouvernement organise un grand débat public sur l’intelligence pour penser et piloter les grandes transformations à l’œuvre. Un grand débat associant scientifiques, experts, citoyens, enseignants, chercheurs, associations et acteurs économiques permettrait une politisation salutaire de la question sans pour autant s’engluer dans les discussions sur le déterminisme biologique de l’intelligence ou la pertinence des mesures quantitatives du type QI. Le courage politique réclame qu’on se saisisse de ces enjeux compliqués et du passif historique qui va avec, sans tomber dans des caricatures dangereuses ».
Penser et voir émerger les industries créatives selon un cadre territorial, c’est essentiellement approcher les acteurs de la création et leurs « produits », c’est aussi analyser le contexte économique, politique, juridique, social particulier selon une approche socio-géographique. C’est aussi s’interroger sur leur importance, à court terme, d’un point de vue tactique mais aussi à long terme, d’un point de vue stratégique. Penser et voir émerger des GAFAM et des BATX « …YZ » c’est revisiter sempiternellement ce qu’est un « nouveau » média. Mais il s’agit aussi de s’interroger sur leurs apports en tant qu’outils de médiation mais aussi sur une fracture de liens sociaux, menant à considérer les risques de la désocialisation.
Conclusion
A l’heure où l’on pourrait croire que les industries créatives tendent à l’émancipation ou à la libération de l’individu, on constate aussi d’autres effets de ces industries : uniformisation des modes de vie, domination d’une logique économique ou encore un pouvoir autoritaire. Pour les chercheurs allemands, Horkheimer et Adorno, après la seconde guerre mondiale, l’industrie culturelle participe d’une anti-Aufklärung, phénomène ne concernant pas seulement les pays totalitaires, mais également les autres pays, à commencer par les sociétés libérales. Aussi, ce n’est pas anodin si dès les années 70, le champ des Sciences de l’information et de la communication se penche sur cette notion d’industrie culturelle, avec une dimension critique et ouverte à un champ interdisciplinaire de recherche sur la vision et sur l’instrumentalisation de la culture populaire — industrialisée — des médias et des grands groupes de communication.
Eu égard du manque de recherches quantitatives sur la question, très tôt, la notion d’industries créatives a fait l’objet de nombreuses critiques. Aussi, quelles médiations pour des sociétés où l’Homme et la Machine tendent à se côtoyer, aussi bien économiquement que sociologiquement ?
[1] DEES DE STERIO Marius (1999). De propaganda fide. Cours du Pr. Marius De Sterio en ligne sur ameddias.org. URL : http://www.ameddias.org/fr/2014/01/08/de-propaganda-fide_1/ .
[2] WATZLAWICK, P., BEAVIN-BAVELAS, J., JACKSON, D. 1967. Some Tentative Axioms of Communication. In Pragmatics of Human Communication – A Study of Interactional Patterns, Pathologies and Paradoxes. W. W. Norton, New York.
[3] « The War of the Worlds » est une dramatique émission de radio interprétée par la troupe du Mercury Theatre (en) et diffusée le 30 octobre 1938 sur le réseau CBS aux États-Unis. Écrite et racontée par Orson Welles, c’est une adaptation du roman du même nom de l’écrivain H. G. Wells.