Cas de réclame : la nicotine
Et les femmes fumèrent…
En préface du livre du publicitaire austro-américain Edward Bernays, Propaganda, l’universitaire canadien Normand Baillargeon explique comment celui-ci amena les femmes américaines à fumer (…). Fumer étant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à cette « nouvelle clientèle » allaient exploser … Lire la suite sur Le Monde Diplomatique
Et les non fumeurs aussi …
Les sachets de nicotine enchantent la jeunesse
Des sachets de snus à Stockholm en 2009. (Olivier Morin/AFP)
Alors que les jeunes délaissent de plus en plus la cigarette, les géants du tabac les attirent vers de nouvelles formes de consommation. Snus, nicopouche, poudre à glisser dans la bouche sont valorisés par des campagne de publicité sur les réseaux et sur les sites de vente.
16 mars 2021, Charles Delouche-Bertolasi
Au premier abord, on pourrait penser que TikTok et les influenceurs du globe se sont pris de passion pour les cachous, ce précieux réglisse cher à nos aînés enfermé dans des petites boîtes en métal. En Espagne, au Pakistan, en Suède ou encore au Kenya, se succèdent les vidéos mettant en scène des jeunes – femmes ou hommes – en train de se dandiner avec une petite boîte métallique dans la main, puis de se caler entre la gencive et la joue ce qui ressemble à s’y méprendre à un sachet de thé. En vérité, des centaines de comptes participent à une campagne pour promouvoir de nouveaux produits sans tabac commercialisés par British American Tobacco (BAT).
La firme britannique détient les classiques Pall Mall, Lucky Strike, Dunhill ou encore Vogue, mais aussi Lyft, une poudre de nicotine dont elle fait vanter les mérites par des dizaines d’influenceurs. En quelques semaines, le hashtag #lyftsnus a dépassé les 15 millions de vues. Plus d’un milliard de livres sterling (1,157 milliard d’euros) ont été dépensés par le groupe pour faire la publicité de cette poudre à la nicotine mais sans tabac, également appelée nicopouche. Elle est dérivée du snus, une poudre de tabac humide consommée principalement en Suède, en Norvège ou encore en Suisse. On colle le produit entre la gencive et la lèvre supérieure et il se diffuse.
Produit ancestral
En Suède, le snus est fabriqué à partir de tabac séché, mélangé avec de l’eau, du sel, du carbonate de sodium ainsi que des arômes. «C’est un produit ancestral dans les pays scandinaves. Dans les années 70, l’entreprise Swedish Match [spécialisée dans les allumettes et les produits à base de tabac, ndlr] s’est recentrée sur ce produit qui avait eu tendance à disparaître avec l’arrivée de la cigarette au XXe siècle. Ils ont rendu le produit moins dangereux, l’ont amélioré et conditionné sous forme de sachet à thé pour éviter que la poudre ne se répande dans la bouche», explique à Libération le tabacologue Jacques Le Houezec. Depuis, les fabricants ont repris les principes du snus et certains proposent des produits sans tabac, uniquement chargés en poudre de nicotine.
Badjer, 26 ans, a découvert le snus en 2015 lors d’une soirée avec des amis footballeurs, non loin de Paris. Depuis, sa consommation a augmenté.«Ces deux derniers mois, j’en ai pris régulièrement et ça m’a permis d’arrêter la chicha. Je ne ressens plus l’envie de fumer. Mon petit frère qui fumait des clopes s’est lui aussi mis au snus il y a quelques semaines et depuis il a complètement arrêté la cigarette.» Il arrive au jeune homme d’en consommer avant d’aller au lit, histoire de «mieux dormir». «Beaucoup de sportifs autour de moi en consomment. J’ai un cousin qui fait du foot et qui en prend avant un match pour se détendre et faire baisser le stress.» Jacques Le Houezec confirme : «La nicotine permet de focaliser son attention et d’améliorer ses performances. On le voit chez les skieurs descendeurs mais aussi chez ceux qui pratiquent le tir à la carabine ou bien le tir à l’arc.»
En vente sur Snapchat et sur Amazon
Joy, Parisienne de 23 ans, en a consommé pour la première fois lorsqu’elle avait 21 ans. La jeune femme compare l’effet de plusieurs snus fourrés dans la bouche en soirée à celui produit par l’inhalation d’un ballon chargé en protoxyde d’azote, procédé très en vogue chez les jeunes pour connaître une défonce facile et rapide. «On plane un peu. On se détend. On sent une légère sensation de vertige dans la tête», décrit la jeune femme. Sur Internet, on trouve facilement les modèles Lyft ou Velo «pour débutants», précise-t-elle, tandis que les modèles Pablo sont les plus puissants. «Dose de nicotine vraiment forte. Pablo n’est pas fait pour un débutant ou même un utilisateur de poche ordinaire», prévient le site qui vend ces produits. Un clin d’œil pas si subtil à l’imaginaire de la défonce.La capsule qui contient les sachets de nicotine en poudre est décorée d’une illustration représentant le trafiquant de drogue colombien Pablo Escobar : lunettes de soleil sur le nez, deux revolvers dans les mains, le portrait orné de poings américains, de billets de banque, de cran d’arrêt et d’un monticule de cocaïne.
«Il y a des mecs qui en vendent sur Snapchat, c’est comme ça que je m’en suis procuré, se souvient Joy. J’ai aussi des amis qui en ont commandé via Amazon. C’est dix euros la boîte, le même prix qu’un paquet de cigarette, avec une quinzaine de sachets.» En soirée, certains jeunes confient les accumuler dans leur bouche, parfois deux ou trois en même temps, et mélangent le tout avec de l’alcool. L’intoxication à la nicotine présente les mêmes symptômes que la première cigarette fumée : nausées, vomissements.
En 1992, la Commission européenne s’est inquiétée de ce produit et en a interdit la vente partout sur le territoire européen. Lorsque la Suède a intégré l’Europe, le pays a obtenu une exemption pour continuer de commercialiser du snus. «Ce produit est interdit partout alors qu’il est le plus sûr et qu’il permet aux gens d’arrêter de fumer», regrette Jacques Le Houezec. La Suède compte moins de 5 % de fumeurs de cigarettes quotidiens. Le taux de cancer du poumon et de cancer de l’oropharynx y est le plus faible au monde.
Objectif 500 millions de consommateurs
Depuis quelques années, les géants du tabac ont ciblé Internet, les réseaux sociaux, mais également les paddocks de Formule 1 pour mettre en avant leurs produits. Le championnat interdit la publicité du tabac depuis 2006, mais autorise toujours la promotion de produits à base de nicotine. BAT a ainsi renouvelé son partenariat avec l’écurie britannique McLaren. Aux Etats-Unis et en Europe, BAT a déclaré aux autorités que ces produits étaient destinés à aider les fumeurs adultes à remplacer les cigarettes. Le 20 février 2021, le journal britannique le Guardianexpliquait que BAT entendait cibler 500 millions de consommateurs d’ici 2023 et atteindre un chiffre d’affaires de 100 milliards de livres par an. Avec les jeunes consommateurs en ligne de mire. En France, la dernière enquête Escapad menée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a montré que plus d’un quart des jeunes de 17 ans étaient des fumeurs quotidiens. Il s’agit du niveau le plus bas mesuré depuis 2000 mais il reste élevé par rapport à d’autres pays. Au Royaume-Uni, les jeunes de 18 à 24 ans étaient 25,7 % à fumer en 2011. Ils ne sont plus que 16 % désormais.
La jeunesse a toujours été la cible de l’industrie du tabac, rappelle le tabacologue Jacques Le Houezec. «Plus de 80 % des fumeurs ont commencé avant l’âge de 18 ans. Le snus n’est pas que négatif. L’idéal est de se débarrasser de la combustion. Si les jeunes aiment ces produits, ils n’iront pas vers la cigarette qui tue les gens. Les hyperhygiénistes voudraient que tout le monde soit blanc comme neige, regrette le tabacologue. Mais on ne fera pas disparaître la consommation de nicotine pour une simple raison, elle est un formidable stimulant et a des propriétés intéressantes pour un tas de maladies telles que Parkinson ou encore Alzheimer.»
Pour la première fois depuis leur arrivée sur le marché, les produits dits non combustibles commercialisés par le groupe ont contribué aux bénéfices de BAT, qui s’élèvent à 10 milliards d’euros pour l’année 2020. Durant la pandémie de Covid, selon les chiffres fournis par British American Tobacco et cités par le Guardian, le nombre de consommateurs de snus est passé de 3 millions à 13,5 millions dans le monde.